Pourquoi il faut écouter les avertissements
Ici Londres, les féministes parlent aux féministes.
Le discours qui va suivre est garanti 100% sans ironie ni sarcasme, l’auteur a réellement essayé de se mettre à la place des personnes à qui elle essaye de s’adresser, et de partir de ce qu’elle imagine de leur expérience pour essayer de les convaincre.
Vous vous exprimez sur Internet et vous êtes féministe. Avec raison, vous êtes fiers de l’être. C’est une fort belle cause que l’égalité des droits.
Pourtant, dès que vous affirmez fièrement votre féminisme, vous vous heurtez à des silences gênés, voire des ricanements, quand ça n’est pas carrément de l’agressivité.
Alors, vous, naturellement, vous vous dites que vraiment, y a des gens cons dans le monde, que le patriarcat est encore bien vivant, que cette personne est mal informée, qu’il faut que son monde soit sacrément restreint pour qu’elle ignore que les femmes ont été opprimées injustement pendant des siècles et subissent encore mille et une violences et humiliations aujourd’hui. Ou alors que cette personne est trop contente de cet état des choses pour vous laisser lutter contre, que de toute façon, on ne vous agresserait pas si vous n’aviez pas visé juste, si vous n’étiez pas réellement une menace pour les privilèges, bref, vous avez tout un tas d’explications toutes prêtes à la question « mais pourquoi cette réaction négative quand je parle de mon féminisme ? »
Et du coup, vous ne vous la posez pas. Pas réellement.
Il faut dire que si vous la posiez à votre interlocuteur, il y a fort à parier qu’il n’y répondrait pas non plus, qu’il soit aussi mal disposé à vous répondre que vous à le lui demander. Pourtant, des indices peuvent vous êtes donnés à d’autres occasions.
Par exemple, dans les commentaires d’un article, d’un tumblr ou de n’importe quelle publication dont vous êtes l’auteur et où vous avez informé le monde de la situation des femmes aujourd’hui. On vous dit, plus ou moins posément, plus ou moins diplomatiquement que les hommes ne sont pas aussi diaboliques que vous le dites et que là, tout de même, vous exagérez un peu. Vous êtes outré parce que vous n’exagérez pas. Ce que vous dénoncez, c’est des faits, vous le savez, et vous n’avez rien dit des hommes qui ne soit vrai, vous le savez aussi, vous vous en rendriez compte, si vous vous trompiez. Vous ne voyez pas ce qu’il y a de blâmable à dire la vérité, d’autant que si vous ne le faites pas, rien ne changera jamais. Alors, si votre interlocuteur tient à s’enfermer dans le déni, tant pis pour lui. Vous avez des siècles d’Histoire pour prouver ce que vous avancez. Lui, il a quoi ?
Mais, dans ce cas précis, vous objecte-t-on, les choses sont loin d’être aussi graves. Vous savez que vous devriez rester calme, mais tant de mauvaise foi vous choque. Bien sûr, qu’elles sont aussi graves ! Rien n’est anodin, rien. Si on ne traque pas le sexisme dans le moindre des gestes quotidiens, jamais on ne l’éradiquera. C’est trop facile de céder sur les petites choses, mais de petites choses en petites choses on entretient la culture de l’oppression des femmes.
Alors votre interlocuteur vous explique qu’il ne sera jamais féministe, qu’il ne hait pas les hommes, qu’il est pour l’égalité.
« Mais t’as rien compris au féminisme, lui répondez-vous, faut pas écouter la propagande du patriarcat, le féminisme c’est pas chercher la domination des hommes par les femmes. Le féminisme, c’est chercher l’égalité des hommes et des femmes ».
Vous ne vous demandez pas qui véhicule cette « propagande du patriarcat »
comme quoi le féminisme, c’est la haine des hommes. Vous ne vous demandez surtout pas si c’est vous.
Car, en toute sincérité, vous ne pouvez pas envisager que ce soit vous. Vous ne faites que dénoncer des inégalités qui existent. Ce n’est pas prôner la haine, ça ! Ce n’est pas insulter, les seuls qui prétendront le contraire sont soit des crétins, soient des salauds décidés à saboter votre action. Pourtant…
Pourtant, il y en a vraiment beaucoup. De plus en plus. Et parmi eux, des gens qui, jusqu’alors, vous avaient semblé gentils et intelligents. Comme vous
vous êtes trompé sur eux…
If only feminists could remember that… |
C’est donc que vous pouvez vous tromper, non ? C’est donc que vous ne vous en rendez pas forcément compte, quand vous vous trompez ? Et si ce n’était pas sur les gens que vous vous trompiez ? Et si c’était sur votre interprétation des faits, des gestes d’autrui ? Et si parmi toutes les personnes que vous avez accusées, certaines étaient meilleures que vous l’imaginiez ? Et si certaines étaient carrément innocentes ? Et si d’autres étaient simplement inconscientes ? Et si, même pour les personnes qui sont réellement coupables, il y avait un intérêt à comprendre les mécanismes qui les ont poussées à commettre ce qu’elles ont commis ? Et si on trouvait, de cette manière, le moyen de déjouer ces mécanismes, et de prévenir, plutôt que de guérir ? Et si, quand bien même il n’y aurait pas d’intérêt à faire ça, ce coupable était juste un cas isolé qui ne peut pas être généralisé ? Et si le fait qu’une personne se soit mal conduite ne justifiait pas qu’on rejette toute une partie de la population sous prétexte qu’elle a un vague caractère en commun avec la personne qui s’est mal conduite ?
Ce dernier point vous parle sûrement, parce que ça vous énerve sûrement quand on rejette l’ensemble du féminisme à cause du comportement de deux trois extrémistes dont, vous le savez, vous ne faites pas partie.
En tout cas, ça vaudrait peut-être le coup d’écouter les avertissements. Non, vous n’avez pas à accepter qu’on vous agresse et qu’on vous insulte, bien sûr, mais tout en refusant la violence, vous avez la possibilité d’écouter les arguments et de vous interroger sur leurs fondements avant de décider qu’ils sortent du nulle part.
Parce que comme le disait l’autre, rien ne se perd, rien ne se crée,
tout se transforme.
Il n’y a pas de sombre divinité appelée le Patriarcat qui manipule les esprits depuis sa cité engloutie sous la mer. Parce que les hommes de moins de cent ans ne sont pas responsable de ce qu’on a fait il y a cent ans, que les hommes de moins de cinquante ans ne sont pas responsable de ce qu’on a fait il y a cinquante ans et que les hommes de moins de trente ans… Bon, vous avez pigé le truc. Parce que « Les hommes » ce n’est pas un groupe homogène où rien ne distingue l’un de l’autre, pas plus que ne le sont « les femmes » ou même « les féministes ». Parce que l’incompréhension du féminisme par le grand public est une réalité, et qu’il faut envisager qu’elle soit due à une stratégie de communication inadaptée à la réalité des choses.
Alors oui, je vous parle de stratégie de communication alors que vous, vous vous battez pour améliorer le monde, mais souvenez-vous, la conversation que vous venez d’avoir sur twitter/ tumblr/facebook/votre blog, vous l’avez déjà oubliée, pour vous il ne s’agissait que d’une prise de bec de plus avec un connard de plus, mais votre interlocuteur, lui, il s’en rappelle. Il sait qu’il n’est pas un connard, et il voit qu’il n’y a pas moyen de vous en convaincre. Alors, toute autre personne que vous appellerez connard, il décidera qu’elles sont comme lui, innocentes. Et un jour, il se retrouvera à prendre la défense de quelqu’un qui est réellement un connard, ou d’une idée qui est réellement malsaine.
Bien sûr, je n’ai aucune preuve qu’il y ait un lien de cause à effet entre la réapparition de sexisme décomplexé, de racisme décomplexé, d’homophobie décomplexée dans notre société et le fait que vous vous exprimez sur internet sans réfléchir à votre stratégie de communication. Mais avouez que c’est étrange que cette apparition coïncide pile avec le progressif changement qu’il y a eu dans notre façon d’utiliser internet, l’apparition des réseaux sociaux, l’exhibitionnisme à outrance, et nos nouvelles façons de communiquer… Même si ce n'était pas forcément glorieux avant, la ligne "droite décomplexée" de Copé, le catholicisme militant et la Manif pour tous, la remise en question du droit à l’avortement, ça n'était pas assez affirmé pour qu'on en parle à la télé. Tout a fleuri en même temps que Facebook, twitter, et de nouvelles habitudes vis-à-vis d’Internet. Ça mérite qu’on s’interroge, non ?
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