Bechdel ta mère !

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Si je voulais renoncer au mot féminisme


Supposons que je vous annonce que je ne veux plus être féministe. Que j’ai décidé d’être égalitariste. Ou alors anti-sexiste. C’est bien, ça, anti-sexiste, ça dit bien ce que ça veut dire : contre le sexisme, toute forme de sexisme. Aucune ambiguïté, aucun moyen de me soupçonner de prôner la misandrie, si je m’appelle comme ça.

Evidemment, votre premier réflexe sera de me dire « mais le féminisme, l’égalitarisme et l’anti-sexisme, c’est la même chose ». Et vous aurez raison. Mais je vous répondrai que égalitarisme ou anti-sexisme correspondent plus à ce que je veux dire quand je veux dire que je suis féminisme.

Si j’ai un peu de chance et que vous êtes gentil, vous me demanderez pourquoi.

Et je répondrai.

Parce que quand je dis que je suis féministe, je veux dire que je suis pour l’égalité entre les hommes et les femmes, pour qu’on paye les femmes autant que les hommes, pour qu’on autorise les petits garçons à pleurer autant que les petites filles, pour qu’on adresse la parole à l’autre sexe en le considérant comme un individu au même titre que soi, pas un extraterrestre qui a un mode de fonctionnement autre, et pour qui les règles de respect habituelles ne sont pas à prendre en compte.

Parce que je ne hais pas les hommes blancs hétéros. Ni les hommes tout court. Parce que je suis tout aussi sensible à leur crise d’identité masculine que je suis sensible aux injustices faites aux femmes. Parce que quand je parle d’égalité entre les sexes, je parle VRAIMENT d’égalité entre les sexes, je ne considère pas que les femmes sont plus égales que les hommes sous prétexte qu’elles étaient moins égales que les hommes avant.

Parce que je ne vois pas pourquoi un homme aurait le droit d’aspirer au mariage et aux enfants sans s’attirer le mépris et les insultes, et qu’une femme n’en aurait pas le droit sous peine de devenir un symbole de soumission au patriarcat. Parce que je suis contre la paranoïa, l’aveuglement, la surinterprétation. Parce que je n’ai pas pour but, dans la vie, de trouver des raisons de haïr les auteurs de toutes les œuvres que je lis, d’inventer des liens de cause à effet qui n’existent que dans ma tête pour pouvoir m’écrier que ce qu’ils écrivent est sexiste/raciste/homophobe.

Parce que je préfère continuer à parler français comme on me l’a appris à l’école, en respectant la règle du masculin qui l’emporte au pluriel, et que si je me sens quand même tenue de préciser qu’il y a des femmes dans l’assemblée que je décris je rajoute un e entre parenthèses, pas entre tirets, parce que je préfère la douceur et la discrétion des parenthèses à l’agressivité revancharde des tirets. Et que j’ai un peu le sens du ridicule, aussi. Je ne trouve pas que respecter la règle du masculin qui l’emporte au pluriel soit sexiste. Cette règle existe parce que le neutre n’existe pas dans la langue française. On dit bien qu’un homme est UNE lumière, et qu’une femme est UN brillant esprit. Et « les gens », c’est un mot féminin quand on met l’adjectif avant, « des petites gens ». Même quand il y a des hommes parmi les petites gens en question. Alors, qu’il soit masculin quand on met l’adjectif après, « des gens heureux », même quand il y a des femmes parmi les gens heureux en question, en quoi c’est plus significatif ? Parce que les activités dont les hommes sont exclus m’énervent autant que les activités dont les femmes sont exclues.

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Parce que mon réflexe, en apprenant que Super U fait un catalogue de noël où des enfants des deux sexes sont montrés en train de jouer à des jeux traditionnellement réservés à un seul, c’est de me réjouir parce que des enfants vont être décomplexés de vouloir des jouets traditionnellement réservés à l’autre sexe, pas de jubiler parce que ça offense les réactionnaires. Parce que j’en ai ras le bol de la guerre des sexes, que mon mec fait tout à la maison pendant que j’essaye de ramener de l’argent au foyer et que personne ne nous enquiquine sur cette inversion des rôles traditionnels,
que la plupart de mes amis sont des hommes, que je n’en connais aucun qui ait peur d’être castré par les femmes, aucun qui ait envie d’enfermer les femmes dans une cuisine, et très peu qui considèrent que les filles fonctionnent différemment des garçons sur le plan psychologique, et que la plupart des gens que j’entends tenir des propos sexistes pour les femmes sont… Des femmes.

Qu’il se trouve qu’on a créé des mots pour me désigner, pour me distinguer des fanatiques qui font tout ce que je me refuse à faire au nom du féminisme.  Qu’il se trouve peut-être même qu’on n’avait pas besoin de créer un mot, puisque le mot égalitaire existait déjà.

Et là, vous me répondrez que le féminisme, ce n’est rien de tout ce que je refuse d’être, que c’est tout ce que je veux être. Et je répondrai que je suis d’accord, mais que sur Internet, les gens se comportent comme si ce n’était pas ça, et qu’on doit bien vivre avec le monde qui vous entoure et utiliser le vocabulaire du monde qui vous entoure.

Et là, nous tomberons d’accord sur le fait que cette discussion n’a aucun intérêt. Non, vraiment, aucun.  Les mots qu’on emploie pour désigner les choses, c’est juste des outils, on se met d’accord sur le sens par convention pour éviter les malentendus, mais aussi sur le fait que le vrai enjeu, c’est pas les mots, c’est les idées derrière. Le vrai débat, c’est de savoir si lutter contre les inégalités, c’est se soucier en priorité des victimes ou se soucier de tout le monde tout de suite. Et tant qu’on perdra du temps à décider comment chaque camps, chaque courant, doit s’appeler, on ne se penchera pas sur la vraie question.

 



01/08/2014
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